Q : Dominique Lancastre, vous publiez votre deuxième roman, « Une Femme Chambardée » aux éditions Fortuna. Pouvez-vous brièvement nous dire de quoi il s’agit ?
Une Femme chambardée raconte l’histoire d’une femme aux prises avec de nombreux problèmes dans sa vie quotidienne. L’histoire se passe aux Antilles en Guadeloupe sur fond de l’éruption de la Soufrière 1976 qui vient chambouler une île en apparence calme.
Q : Cette histoire avec le volcan de la soufrière en toile de fond a-t-elle été inspirée par un personnage réel ?
Comme dans tout roman il y a toujours une part de vérité. Le personnage d’Héléna est inspiré d’une photo. Une femme habillée de noir marchant la tête baissée tenant à la main un sac à main noir. Cette photo m’a renvoyé quelques années en arrière et j’ai eu l’impression de voir en elle une dame de mon enfance appelée Héléna. D’ailleurs, des souvenirs très clairs me sont revenus en écrivant ce roman et j’ai pu transcrire certaines scènes de mon enfance. Mais, ce n’est qu’une infime partie du roman.
Q : Qu’est-ce qui vous a initialement poussé à commencer à écrire ?
Je suis passionné d’histoire et en particulier l’histoire des Antilles. La façon dont ces îles se sont crées, donnant naissance à un phénomène de multiculturalité sans précédent, est tout à fait remarquable. En se plongeant dans cette histoire on se rend compte que c’est un vivier culturel impressionnant, voire une sorte de mine ou l’on découvre chaque jour des informations ou des bouts d’histoire inconnus. Pour un écrivain c’est fabuleux. Puis, je me suis intéressé aux auteurs antillais. Il faut dire qu’il faut vraiment faire cet effort. La littérature antillaise est classée en littérature francophone, ce qui est d’une stupidité abrutissante. Car peut-on vraiment dire qu’Aimé Césaire est un poète, écrivain francophone ? Cela n’a aucun sens. Ce classement ridicule a pendant longtemps porté préjudice aux auteurs. Car, il faut vraiment aller chercher ces auteurs et s’y intéresser. Cette littérature ne se limite pas à cinq ou six auteurs connus comme on veut bien le faire croire. Il y a une multitude d’auteurs aux Antilles et plus je les lis plus cela me donne envie d’écrire.
Q : Quelle place la culture créole tient-elle dans votre vie par rapport à la culture de la métropole ?
La culture créole n’occupe aucune place, je suis la culture créole, je me déplace avec, je la transporte avec moi, je vis avec elle selon les circonstances. En résumé ma créolité est en moi. Je n’ai pas de besoin de la souligner ni de la comparer. C’est ma créolité bien ancrée qui me permet d’absorber la culture des autres et de la digérer.
Q : Comment gardez-vous un contact vivant avec votre terre et votre culture d’origine ?
C’est une question intéressante mais je ne me la pose pas. Car, comme je l’ai dit ma culture d’origine (créolité) est en moi. Je crois que le fait de voyager de part le monde a développé encore plus ce sentiment d’appartenance à une terre. Sachant d’ou je viens je sais exactement où je vais. Je sais que tôt ou tard je retournerai au pays. Je n’ai pas la nostalgie du pays car je suis toujours avec le pays. C’est très important pour moi. Car la nostalgie correspond souvent pour moi à un non-développement. On reste bloqué sur une période qu’on idéalise et qu’on aimerait bien retrouver quelque part. Le passé reste le passé et bien qu’il soit important de ne pas oublier le passé il est important de regarder vers l’avenir. Je parcourais le net l’autre jour et je suis tombé sur cette citation :
John Cage : “I can’t understand why people are frightened of new ideas. I’m frightened of the old ones.” Il a parfaitement raison en quelque sorte. L’innovation, je ne vois que par cela.
Q : Un de vos romans, La Véranda, est étudié dans les collèges et lycées et vous avez même organisé un concours de collégiens en Martinique avec Ernest Pépin et José Lemoine, pour trouver une « suite » à La Véranda. Est-ce là votre façon de rendre à votre terre d’origine ce qu’elle vous a donné ?
C’est tout à fait dans mon optique. Transmettre à la génération future mes propres expériences sans la bombarder de préceptes inutiles me semble très important. Cette nouvelle génération vit déjà dans un monde multiculturel. Il est très important de leur apporter des connaissances sur leur propre culture dont ils doivent être fiers. Nous ne sommes plus dans les combats de reconnaissance. Ces jeunes gens ont Internet, des réseaux sociaux, les échanges se font à une vitesse impressionnante. Ce qui manque je pense c’est de susciter l’intérêt pour cette culture enrichissante qui est la leur. La littérature doit rester un plaisir. Le plaisir de lire, de se retrouver dans des personnages, de s’identifier à l’environnement dans lequel l’auteur nous plonge. Elle ne doit pas être en permanence un instrument de combat ni un instrument du pouvoir. Ce n’est pas non plus raconter une histoire pour raconter une histoire.
Q : Diriez-vous que Une Femme Chambardée est aussi un roman féministe ?
J’ai toujours eu un grand souci avec le mot féministe. L’histoire du féminisme avait un sens dans le temps. De nos jours, même s’il existe encore des disparités entre hommes et femmes surtout au niveau des salaires, on ne peut parler vraiment de féminisme. Héléna a autant d’aversion pour les hommes quand ils se comportent de façon outrageante (Monsieur de Malmaison) que pour les femmes qui se laissent faire (les caissières) dans le monde du travail. J’ai fait d’elle une sociologue. Elle est là elle observe et ne dit rien. Mes propos pourraient sûrement porter à confusion. Je ne dis pas que c’est l’avènement du féminisme parce que des femmes sont aux commandes de Boeing et d’Airbus de nos jours. Mais, je dis simplement que les temps ont changé. Héléna est une combattante. Elle combat tout, de l’ignominie des hommes à l’ineptie des conceptions religieuses. Elle, en tant que femme, ne voit pas ce que tout ceci va lui apporter et dans quelle mesure cela va améliorer sa condition. Sa révolte à elle ne concerne qu’elle, une sorte de révolution intérieure. A vrai dire c’est une femme sous pression qui pourrait exploser à n’importe quel moment. On me demande beaucoup, et surtout les lectrices, s’il y a une suite à ce moment. Peut être que les lectrices s’attendent à plus de révolte.